Pendant les confinements, le premier surtout, les agriculteurs en circuits courts et vente directe ont vu les Français affluer dans leurs points de vente, drives, et sur les plateformes de commande en ligne. Deux ans plus tard, alors que le pays est presque revenu à la vie d’avant, l’engouement semble retombé. Qu’en est-il réellement sur le terrain ?
Début mars, le RMT (réseau mixte technologique) alimentation locale1 a également une enquête en ligne, auprès « des acteurs et actrices des circuits courts2» : producteurs, consommateurs, transformateurs, artisans, distributeurs, accompagnateurs (5 questionnaires pour « croiser les données », 800 répondants). Objectif : évaluer « les fluctuations des ventes de produits agricoles et alimentaires » au sein de ce mode de commercialisation, que ce soit en vente directe à la ferme, magasins de producteurs, marchés, Amap, autres commerces, ou via des plateformes web.
Car depuis quelque temps, les circuits courts semblent rencontrer quelques « difficultés », affectant les agriculteurs de manière plutôt individuelle, et conduisant parfois à « des licenciements » voire « des fermetures de points de vente », explique le RMT. Les Amap d’Île-de-France, par exemple, annoncent une baisse de 20 à 30% en moyenne de leurs adhérents en 2021. De là à « conclure que l’attractivités des circuits courts s’érode et qu’ils ne sont finalement qu’un phénomène de mode », s’interroge le groupe d’experts. Alors qu’en parallèle, « l’origine locale des produits » est mise en avant par de nombreux distributeurs, qui « en font même un argument publicitaire » ?
Stabilité voire légère hausse des ventes
L’étude fournit plusieurs éléments de réponse, ou du moins de réflexion, en mettant en avant six tendances :
1. Pas de recul généralisé des ventes et même une tendance légèrement à la hausse.
Celles-ci sont plus faibles qu’avant la crise sanitaire dans 4 points de vente sur 10 et plus élevées dans 4 points de vente sur 10 également, 2 sur 10 affichant un chiffre d’affaires équivalent. Côté producteurs, le CA est constant chez plus de 50% d’entre eux, supérieur chez plus de 25% et inférieur chez moins de 25%.
2. Aucun produit, mode de distribution, territoire plus touché qu’un autre.
Sauf peut-être les produits frais, les marchés et les ventes à la ferme. Les circonstances locales, comme la création d’un magasin, paraissent impacter davantage.
3. Une diminution d’origine diverse.
4. Des changements de pratiques d’achat avec la crise Covid.
En fait, souvent, « ceux qui consommaient déjà en circuits courts ont augmenté leurs dépenses et les nouveaux venus ne sont pas restés ». Car avec le retour à la « vie normale », ils manquent à nouveau de temps pour cuisiner. Certains consommateurs ont simplement changé de points de vente, privilégiant la proximité ou la praticité.
5. Pas de paradoxe entre les freins constatés et l’attrait pour le local.
« Les produits locaux, pas forcément issus d’un circuit court, ont progressé dans les supermarchés ». Les lieux traditionnels de vente en circuits courts doivent désormais « partager leur clientèle » avec eux.
6. Des prévisions trop confiantes.
Comme de penser que le boom du premier confinement allait perdurer. Cette perspective ayant parfois incité les producteurs à investir (matériel, main-dœuvre) alors que depuis, leurs charges ont explosé, en particulier avec la guerre en Ukraine. D’une part, nombreux sont les nouveaux consommateurs ayant repris leurs anciennes habitudes d’achat et de l’autre, la flambée des prix de nombreux produits limite le pouvoir d’achat des Français.
Des projections trop optimistes
Ainsi, globalement, les ventes en circuits courts ont connu « autant d’augmentations que de baisses » par rapport à 2019. Et « les causes sont multiples », pas seulement liées à la pandémie de Covid-19. Même si celle-ci « continue de redistribuer les cartes », aussi bien « dans les territoires » que « dans la distribution alimentaire ». La demande, elle, est toujours présente, le premier confinement ayant eu deux effets majeurs : l’arrivée de néo-consommateurs, qui se sont avérés volatils, et de nouveaux concurrents.
S’adapter aux évolutions
Les chambres d’agriculture observent, elles aussi, ces dernières années des évolutions au niveau des circuits courts. « La demande est devenue différente », pointe Jean-Marie Lenfant, président délégué « alimentation circuits courts » et de Bienvenue à la ferme pour l’organisme. D’où l’importance de « se rapprocher des consommateurs » pour mieux connaître leurs attentes. Parallèlement, « de nouveaux modes de consommation » apparaissent et « le tourisme rural est de plus en plus en vogue », poursuit-il, mettant en garde face à la concurrence croissante sur ce créneau : « Ce que nous ne faisons pas, d’autres le feront et capteront la valeur ajoutée qui devraient revenir aux agriculteurs. »
« Les chambres d’agriculture sont en première ligne pour les aider » à s’adapter à ces mutations, insiste-t-il. Leur projet stratégique 2019-2025 prévoit d’ailleurs de « professionnaliser l’accompagnement des exploitations diversifiées » et des collectivités territoriales qui souhaitent relocaliser l’alimentation. Ceci « en développant l’offre de formation et de conseil, et en s’appuyant sur la marque Bienvenue à la ferme », avec deux chiffres en ligne de mire : accompagner au moins 12 000 producteurs via le réseau dans la commercialisation de proximité de leurs produits et ouvrir 100 magasins affiliés d’ici 2025.