Issu de déchets alimentaires, de lisiers, ou de cultures dédiées... le biogaz, déjà prisé face au réchauffement climatique, pourrait connaître une accélération marquée sur fond de crise énergétique en Europe. Mais dans quelle mesure peut-il contribuer à remplacer le gaz russe ?
Un gaz renouvelable
Le gaz vert est produit par la fermentation de matières organiques : effluents d’élevages, restes de cantines ou d’usines agro-alimentaires, boues de station d’épuration... Le méthane dégagé sert à produire de l’électricité et de la chaleur, ou bien est injecté dans les réseaux du gaz naturel fossile.
Il permet de se chauffer, de cuisiner, de rouler (bioGNV), mais contrairement au gaz naturel, il est renouvelable, et évite 80% d’émissions de gaz à effet de serre, selon le cabinet Carbone 4.
Les projets peuvent être portés par des agriculteurs, avec d’immenses cuves « yourtes » au cœur des exploitations. Ce sont aussi des usines traitant les biodéchets d’une métropole, comme à Paris bientôt, ou encore des sites portés par des industriels.
Le biogaz pâtit de coûts de production élevés
L’État français l’achetait récemment 5 à 10 fois plus cher que le gaz naturel. Mais c’est moins vrai depuis la flambée des prix du gaz fossile.
La filière, en plein développement, compte baisser les coûts par un effet de nombre, la numérisation... Elle plaide aussi les services rendus : déchets valorisés, emploi, revenu agricole, résidu fertilisant, etc.
Europe cherche gaz local
L’UE a consommé environ 400 milliards de m3 de gaz en 2021, soit 23,7% de ses besoins en énergie, importé à plus de 45% de Russie, selon Eurostat.
Le biogaz fournit pour sa part 18 milliards de m3, indique l’Association européenne du biogaz (EBA). Alors que l’UE veut se passer de Moscou, le secteur se dit « prêt à faire 35 milliards de m3 d’ici 2030 », soit 10% de la demande actuelle et plus de 20% des importations venues de Russie.
D’ici à 2050, ce potentiel peut tripler à plus de 100 milliards et couvrir 30 à 40% de la future demande gazière, selon l’EBA, dans un contexte où la consommation de gaz aura fortement baissé, au profit de l’électricité et de l’efficacité énergétique, pour garder le réchauffement climatique sous contrôle.
Les estimations de l’EBA se basent sur « une partie des matières durables disponibles » (résidus et déchets, eaux usées, cultures intermédiaires...).
Tous les pays n’en sont cependant pas au même point.
Situations variées
En France, le biogaz fournit 1% du gaz consommé (2% prévus en 2022). L’Etat vise 10% en 2030 et le secteur estime pouvoir atteindre 20%, couvrant tous les imports russes, « si les dispositifs de soutien sont stabilisés ».
Avec cette crise, « il y a un regain d’attrait, et on voit bien que les travaux se sont accélérés », note Robin Apolit, du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Un décret est sorti mardi pour obliger les fournisseurs de gaz à incorporer un minimum de gaz vert, le SER en espère l’application dès 2025.
Sauf qu’en France, le gaz représente 15% de l’énergie.
Changement de cadre en Allemagne, où c’est 26%, russe pour plus de la moitié. Engagé dans la méthanisation dès les années 2000, le pays en est le leader européen, avec la moitié des méthaniseurs. Pour autant, le biogaz ne représente que 1% du gaz consommé.
Son déploiement y a été freiné depuis 2014 pour des raisons environnementales, critiqué aussi car basé sur des cultures alimentaires dédiées. Avec la guerre en Ukraine, Berlin a dit sa volonté de relancer la filière, qui assure vouloir changer de modèle.
Ailleurs, l’incorporation de biométhane dans les réseaux de gaz est également développée au Royaume-Uni, en Italie, aux Pays-Bas, au Danemark.
Elle est balbutiante en Irlande, Espagne, Belgique..., parfois encore inexistante, comme en Pologne.
Des limites à l’expansion
La ressource n’est pas infinie. Pour préserver terres et sécurité alimentaire, des réglementations limitent déjà le recours aux cultures dédiées, par exemple en France. En Allemagne, 14% des surfaces agricoles sont déjà destinées à la production d’énergie...
Cet essor entraîne aussi parfois des problèmes de voisinage, d’insertion dans le paysage. L’association Wellfarm vient d’écrire aux gaziers français pour les alerter sur le bien-être animal, redoutant, comme un rapport sénatorial précédemment, « qu’en recherchant une performance maximale en terme d’effluents, certains éleveurs soient tentés d’imposer la claustration à leur cheptel » : « la vache dans le pré pourrait devenir un vague souvenir ».
Le monde du gaz travaille sur d’autres options, notamment des technologies pour comprimer puis chauffer des déchets aujourd’hui non utilisables. Des démonstrateurs existent notamment au Pays-Bas.