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Quand la France se « séniorise »

Certains l'appellent l'économie de la longévité, les autres le vieillissement de la population. Les uns parlent d'or gris, les autres de déclin démographique... Nous ne manquons pas en France d'expressions pour décrire l'arrivée en âge d'une partie croissante de la population. Un comble pour un pays où, comme dans beaucoup de sociétés occidentales, parler de vieillesse est encore souvent tabou !

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Seniors : une triple révolution française

L'accélération du vieillissement de la population est aujourd'hui un phénomène mondial ! L'Allemagne, les États-Unis, la Russie, la Chine sont à bien des égards concernés, à tel point que les conséquences économiques pourraient être dévastatrices. La France ne fait pas exception, alors que l'indice de fécondité, qui jusqu'ici faisait la fierté nationale, vient de repasser sous le seuil de 2 enfants par femme. Comment expliquer un tel phénomène ? En France, c'est la résultante de trois révolutions.

La première est bien évidemment démographique. L'Hexagone compte actuellement 6 millions de seniors.
Le vieillissement démographique est en train de s'accélérer, alors que 180 000 personnes franchissent la barre symbolique des 75 ans chaque année. Ce qui frappe surtout, c'est l'explosion du nombre de personnes très âgées mais valides. D'ici à 2030, le nombre de personnes âgées dépendantes devrait augmenter de 20 %, passant de 1 million à 1,2 million. C'est bien moins que le nombre de personnes âgées autonomes, dont le nombre devrait passer de 5 millions à 7,3 millions, soit une hausse de 46 %* !

L'autre grande révolution est économique. La France n'a jamais connu autant de seniors.
Mais ces seniors, contrairement aux générations précédentes, ont connu les Trente Glorieuses et le plein-emploi. Ils ont eu des carrières complètes et les femmes ont vu leur taux d'activité augmenter. Ce sont d'ailleurs elles les grandes gagnantes de l'augmentation des pensions de retraite. En l'espace de dix ans (2004-2014), leur retraite est passée de 730 euros à 1 007 euros, soit une hausse de 38 %. Les retraités actuels ont aussi accumulé un patrimoine, bien avant que l'envolée des prix de la pierre ne vienne grignoter le pouvoir d'achat immobilier des Français. Ce patrimoine est estimé par le Conseil d'Orientation des Retraite (COR) à environ 279 000 euros par ménage retraité et est majoritairement constitué d'immobilier, alors que trois quarts des 75 ans et plus sont propriétaires de leur résidence principale.

Troisième révolution, un changement d'ordre sociologique. Il ne faut pas oublier que le vieillissement de la population est le fruit de la progression de l'espérance de vie et de l'arrivée en âge des baby-boomers.
Ce sont ceux-là mêmes qui ont connu mai 68 et l'avènement de la société de consommation. Ils ont vécu l'arrivée des grandes marques nationales et sont très attachés à celles-ci. Ils sont aussi davantage sensibles aux sirènes du marketing qui font depuis les années 1970 partie intégrante de leur quotidien. Ils sont également très attachés à la notion de lien social et à la vie en collectivité, ce malgré l'éclatement de la cellule familiale et la montée de l'individualisme. Parallèlement, les seniors d'aujourd'hui ont vu vieillir leurs parents et ont fait l'expérience de la recherche d'une place en maison de retraite ou d'une aide à domicile.

Ils veulent donc s'éviter ce genre de désagrément, en anticipant à la fois la transmission de leur patrimoine (lien vers l'article patrimoine) et leurs obsèques (lien vers l'article obsèques). Au-delà, ils cherchent aussi à prendre d'avantage soin d'eux. Cela passe par plus de dépenses de prévention (cours de gymnastique douce ou d'aquagym, alimentation de qualité, etc.) et une plus grande mobilité résidentielle. Demain, on préférera déménager dans un domicile adapté ou réaliser des travaux d'adaptation de sa résidence principale plutôt que de risquer la chute qui précipitera l'entrée en dépendance.

La Silver économie, un marché en plein boom

Industriels comme startups ont bien perçu le potentiel économique que représentait le vieillissement de la population. Ils ont même trouvé un nom pour cela : la Silver économie (économie des cheveux argentés). Une filière de la Silver économie a été installée en 2013 sous le haut patronage des ministres des personnes âgées et de l'économie de l'époque, Michèle Delaunay et Arnaud Montebourg. L'objectif ? Créer une instance de régulation de ce marché estimé à 92 milliards d'euros.

Des transports au bâtiment, en passant par la cosmétique, les voyages, les loisirs culturels, les nouvelles technologies et bien d'autres secteurs encore, aucun pan de l'économie n'est épargné. Rien que dans le secteur des services à la personne, on estime à 300 000 le nombre de créations d'emplois d'ici à 2020.

Pourtant, les entreprises qui conçoivent des produits pour les seniors en sont parfois pour leurs frais. Attention à ne pas froisser les personnes âgées en créant des produits qui les stigmatiseraient. C'est ce qui s'est passé dans le domaine de la télé-alarme. Quantité d'entreprises innovantes ont mis sur le marché des médaillons et autres bracelets permettant d'alerter les secours ou une plateforme de téléassistance ou cas de chute, voire de géo-localiser leur propriétaire pour les plus sophistiqués d'entre eux. Peine perdue ! Dans près d'un cas sur deux, le dispositif n'est pas porté car la personne âgée ne se sent pas à risque ou craint d'être montrée du doigt.

On touche là du doigt un des piliers de la Silver économie : le design for all (design pour tous). Ce qui est bon pour les seniors est bon pour l'ensemble de la société. Par exemple, un robot ménager qui prépare des menus équilibrés tout en suivi les apports nutritionnels de l'utilisateur peut aussi bien servir à prévenir la dénutrition des personnes âgées qu'à aider n'importe quel Français à suivre son régime. Le vieillissement de la population transforme la société bien au-delà de ce qu'on pourrait imaginer et comporte de nombreuses externalités positives.

Une loi pour adapter la société au vieillissement

C'est bien pour saisir cet aspect positif du vieillissement qu'a été promulguée, en décembre 2015, une loi d'adaptation de la société au vieillissement. C'est un petit séisme culturel en France, dans un pays où la vieillesse a jusqu'ici toujours été abordée sous l'angle de la dépendance.

L'objectif de cette loi est de favoriser le maintien à domicile des personnes âgées en favorisant non seulement l'adaptation du logement, mais aussi de la ville et du quartier. Et c'est là l'essentiel. Oui, les seniors de demain seront en meilleure forme, plus connectés et plus mobiles. Oui, les seniors de demain seront prêts à consommer davantage, seront attirés par les loisirs et les voyages, et auront davantage d'épargne à placer. Mais, surtout, ils veulent vieillir chez eux !

* Source Insee : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1906664?sommaire=1906743